Loire à pieds, étape 4 : de Sainte-Luce à Ancenis

Ce que je vois, ressens et vis de la Loire est devant moi, projeté du dedans. Je marche en moi tout autant que je traverse le monde. Le monde me traverse tout autant que je marche en lui.

Première pause face au pont de Mauves, dont le treillis qui habille le tablier plat rappelle les deux précédents ponts que j'ai croisés en longeant Thouaré. Sa structure métallique horizontale me fait penser à une tour Eiffel couchée ou à la rampe de lancement d'une fusée que Jules Verne aurait fait construire ici dans la commune dont son beau-frère fut maire. J'imagine ce long bras rectiligne se redresser lentement jusqu'à placer la fusée en position verticale sur son pas de tir. Bien sûr cette vision moderne s'éloigne de celle de 1865 où la fusée était propulsée par un canon, j'ai en tête l'interprétation de Georges Méliès à l'aube du XXe siècle qui nous donne à voir un obus planté dans l'œil de la lune. Mais l'imaginaire convoque les représentations et le vécu, les miens sont ceux d'un homme du XXIe siècle nourri à l'épopée d'Appolo et de la navette spatiale, à la régularité métronomique d'Ariane, aux images guerrières des lance-missiles mobiles. Michel Ardan, Impey Barbicane et le capitaine Nicholl s’enferment dans la fusée. Le compte à rebours s'égraine. C'est parti pour 97 heures et 20 minutes d'un légendaire Voyage de la terre à la lune.

Je reprends ma route. Le chemin se fait plus étroit et longe la voie de TGV. Alors que je m'abandonne au rythme lent de la marche, une rame vrombit, apparaît et disparaît presqu'aussitôt. Je suis saisi par cette intrusion mécanique et véloce dans mon espace. A m'installer dans ma marche j'en oublierais presque que nous vivons à l’ère du temps court. Que dis-je de l'instantané ! Un gouffre temporel sépare mes pas du TGV qui vient de me dépasser. Un même lieu, mais deux espaces temps. Quoi de plus variable que le temps !